Dès 1935, la "querelle des vitraux" de Notre-Dame au coeur d'une exposition inédite à Troyes


Dès 1935, la "querelle des vitraux" de Notre-Dame au coeur d'une exposition inédite à Troyes

© Getty Images Signature

Publié le 20 septembre 2024

La création contemporaine a-t-elle sa place dans les monuments historiques ? À moins de trois mois de la réouverture de Notre-Dame de Paris, où de futurs vitraux contemporains font polémique, une exposition inédite à Troyes (Aube) lève le voile sur une querelle née en 1935 autour de cette question.


"Non ! De grâce pas de vitraux modernes à Notre-Dame !", titre alors le journal l'Époque. "Provocation et menace", renchérit le Figaro.

En ligne de mire: des vitraux figuratifs, inspirés des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle (Picasso, Mondrian, Delaunay...) et imaginés en 1935 par 12 maîtres verriers de renom dont une femme, Valentine Reyre, pour remplacer ceux incolores et qu'ils jugent "trop ternes" de l'architecte du XIXe siècle Eugène Viollet-Le-Duc.

Appelés "grisailles", et fidèles aux techniques traditionnelles, ils ont reçu "un accueil mitigé en leur temps", un siècle plus tôt, explique Julia Boyon, commissaire scientifique de l'exposition avec Marie-Hélène Didier de la direction des affaires culturelles d'Île-de-France.

- Rescapés -

Rescapés de l'histoire et pour certains de l'incendie de 2019 qui a ravagé la cathédrale où ils étaient entreposés, une quinzaine de ces vitraux monumentaux des années 30 sont exposés jusqu'en mars à la Cité du Vitrail, dans une chapelle où la lumière naturelle magnifie leurs couleurs éclatantes.

À leurs côtés, maquettes, esquisses, cartons peints et documents d’archives (plans, photographies, articles de presse…) illustrent la virulence des débats qui s'échelonnèrent jusqu'en 1965.

"C'est un des premiers jalons du débat autour de l'insertion d’œuvres d'art contemporaines dans un édifice ancien. Il a mobilisé un très grand nombre d'intervenants du patrimoine, la presse et l'opinion publique de l'époque", raconte Mme Boyon.

"Les partisans du projet vantent alors le savoir-faire des maîtres verriers parmi les plus réputés, louent la figuration de personnages en pied, colorés, rappelant la tradition médiévale, et l'idée que chaque siècle doit apporter quelque chose à l'édifice", ajoute-t-elle.

Un cardinal, auteur d'un "programme iconographique moderne", appelle au "renouveau spirituel par le biais de créations contemporaines" et le peintre Maurice Denis se fend d'une tribune de soutien dans la presse.

- Crainte d'un précédent -

Les détracteurs, "moins nombreux mais plus virulents, fustigent le manque d'harmonie de l'ensemble, certains parlant de cacophonie". Pour eux, les vitraux modernes doivent être réservés aux églises contemporaines. Ils craignent aussi de créer un précédent qui ouvrirait la voie à une propagation déraisonnée d’œuvres contemporaines dans les édifices anciens, souligne Anne-Claire Garbe, conservatrice à la Cité du Vitrail et commissaire générale.

Présenté à l'Exposition internationale de 1937, le projet de vitraux contemporains sera retoqué à plusieurs reprises par la commission des monuments historiques qui finira par l'adopter en janvier 1939.

C'est la Seconde guerre mondiale qui l'enterrera définitivement. Les vitraux seront alors décrochés pour être protégés, cachés en zone libre ou disparaitront.

Seul, Jacques Le Chevallier, (1896-1987), auteur en 1937 d'une version du credo sur la vie éternelle exposée à Troyes, se verra confier la commande d'une composition abstraite qui intègrera la cathédrale en 1965 avec le soutien d'André Malraux, alors ministre de la Culture, restée en place jusqu'à l'incendie du 15 avril 2019.

Alors que le chantier de la reconstruction de Notre-Dame s'achève, huit duos d'artistes et maîtres verriers, parmi lesquels Daniel Buren associé à la manufacture Vincent-Petit de Troyes, ont été retenus pour le remplacement de vitraux créés par Viollet-le-Duc dans six chapelles du bas-côté sud de la nef, côté Seine, à l'horizon 2026.

Initié par le président Emmanuel Macron, et soutenu par l'archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, ce projet, qui doit être figuratif et dont le fil rouge doit être l'arbre de Jessé (un motif fréquent dans l'art chrétien, qui représente schématiquement l'arbre généalogique de Jésus, ndlr), a reçu un avis défavorable de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, qui reste consultatif.

Une situation qui rappelle l'ancienne querelle, souligne Mme Garbe.

"À la grande différence, souligne-t-elle, qu'il existe aujourd'hui une charte internationale interdisant en principe le remplacement d'oeuvres existantes par de nouvelles créations". Cette charte n'est cependant pas contraignante.


AFP
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