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Publié le 20 septembre 2024
Si, en avril 2021, Tracfin met les enquêteurs sur la piste de deux systèmes financiers opaques, à l'issue du procès vendredi la présidente du tribunal correctionnel a pointé la perméabilité des plateformes qui restent nébuleuses.
Transferts bancaires entre sociétés italiennes, françaises, allemandes puis chinoises et hongkongaises, le tout lié à des colis d'espèces au Centre international de commerce de gros France-Asie (Cifa) d'Aubervilliers : "le blanchiment sous le prisme de la présomption est caractérisé", a conclu la présidente du tribunal.
Jugé comme ayant été le principal ordonnateur de ces dédales financiers, Keqiang Zhao a été condamné à six ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende.
Cette peine est légèrement inférieure aux sept ans d'emprisonnement, assortis d'une mesure de sureté de quatre ans, requis par le procureur le 20 septembre.
Emigré de Chine avec ses parents à l'âge de 12 ans, Keqiang Zhao a expliqué travailler depuis 20 ans dans l'import-export au Cifa.
Regroupant plus de 250 boutiques et sociétés, ce "Fashion center" est réputé dans les services d'enquête comme l'une des plaques tournantes du blanchiment d'argent en Ile-de-France.
Avant d'énoncer la peine, la présidente du tribunal a souligné "l'incohérence économique" des explications fournies par M. Zhao.
En quoi deux de ses 13 sociétés françaises pouvaient-elles être intermédiaires dans des transactions entre des sociétés italiennes et des usines textiles en Chine : durant le procès, l'homme de 37 ans n'a eu selon le tribunal que "des réponses fluctuantes et alambiquées".
Comme plusieurs autres prévenus, Keqiang Zhao a raconté avoir été initié par Djamal C. au système frauduleux de "décaisse" qui permet le blanchiment d'argent liquide via des sociétés écrans et des fausses factures.
Djamal C. n'aura pu s'expliquer aux enquêteurs ou se défendre devant le tribunal d'être l'initiateur des combines : il est décédé du Covid en septembre 2021. Après sa mort, les affaires ont perduré et même fleuri.
Et quant au coronavirus, le ministère public a vertement critiqué la ligne de défense des prévenus qui ont pris la pandémie comme excuse pour glisser dans les magouilles, comme pour compenser la chute brutale du commerce international.
Détenu comme Keqiang Zhao depuis 17 ans, Chérif Hammadou, 45 ans, a été condamné à 4 ans d'emprisonnement ferme et un million d'euros d'amende pour avoir co-animé une officine qui a blanchi plus de 37 millions d'euros.
En fuite, Mehdi Belkedah, l'autre co-animateur de la structure financière, a été condamné à six ans de prison et un million d'euros.
A l'échelon inférieur, les gérants de paille de certaines sociétés ont également été condamnés à des peines fermes par le tribunal qui a souligné "les montants faramineux" qui ont échappé aux diverses impositions françaises.
"Qu'est-ce-que je vais faire en prison, moi?" s'est demandé à haute voix le jeune patron de l'entreprise de recyclage, condamné à quatre ans de prison ferme dont deux avec sursis, pour avoir lui aussi mis la main au pot en devenant gérant de paille d'une société.
Assortie d'une amende d'1,3 millions d'euros et d'une interdiction définitive de gérer une entreprise, la présidente du tribunal a justifié cette "peine conséquente" au regard "d'un détournement ayant uniquement pour but d'augmenter votre train de vie".
Œuvres d'art, pièces de cristal Baccarat ou encore tenues de haute couture avaient été trouvées chez lui ou ses proches : le tribunal a estimé son gain personnel à plus de 4 millions d'euros.
Bêtement "motivé par l'appât du gain", Rémi P. était pour sa part banquier à mi-temps à la BRED quand il a intégré les conversations WeChat du réseau.
Via cette application chinoise de messagerie, Keqiang Zhao et ses contacts échangent photos de tampons d'entreprises écrans et ordres de transferts à passer au sein du réseau.
"Je n'ai pas trop cherché à savoir ce qu'il y avait derrière", avait confessé à l'audience l'ancien conseiller bancaire de 40 ans, condamné vendredi à quatre ans de prison dont deux avec sursis simple, lui aussi sous mandat de dépôt différé.
Si certains ont été relaxés des chefs d'abus de biens sociaux, les 19 prévenus de ce large dossier éco-financier ont tous été jugés coupables de blanchiment en bande organisée.