A Paris, le modèle des centres de santé non lucratifs vacille


A Paris, le modèle des centres de santé non lucratifs vacille

Publié le 28 mai 2024

"Fermer serait une catastrophe": essentiel pour l'accès aux soins des habitants, particulièrement des plus démunis du nord-est parisien, le centre de santé Richerand est proche de la faillite. Comme nombre d'autres structures associatives ou mutualistes, au modèle économique "intenable".


Sans ce centre, "je serais en grande galère", s'émeut Alpha Camara, étudiant de 28 ans, dans la lumineuse salle d'attente. Exilé guinéen, il a été orienté ici en 2019 par l'hôpital Lariboisière, et fait régulièrement "1H30 de transports, depuis le Val-d'Oise", car "tous les médecins" de sa ville affichaient complet.  

Créé en 1974 par les oeuvres sociales de l'énergie et repris en 2019 par une coopérative, ce centre "polyvalent" du Xe arrondissement salarie une cinquantaine de personnes dont 10 généralistes (sur les 60 exerçant dans l'arrondissement pour 83.500 habitants), des spécialistes, infirmiers, sages-femmes et psychologues. 

Plus de 20.000 personnes y bénéficient de 54.000 consultations annuelles et 6.000 patients y ont trouvé leur médecin traitant, détaille la directrice médicale, Jeanne Villeneuve. L'ofre, en secteur 1 (sans dépassements d'honoraires), "part des besoins du territoire", notamment la difficulté croissante, pour les plus démunis, à trouver un généraliste.  

Dans l'arrondissement qui mêle populations défavorisées et plus bourgeoises, "on est presque les seuls à accepter de nouveaux +patients médecin traitant+", des visites à domicile ou à l'Ehpad, assure-t-elle. 

A Paris, où 80% des spécialistes et 30% des généralistes pratiquent des dépassements d'honoraires, ces centres pluri-professionnels "jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités de santé", soulignait en mars Thierry Bodin, représentant de l'Agence régionale de Santé (ARS), lors d'une réunion publique.

 

Modèle “intenable”

Ils rééquilibrent l'offre, le nord-est populaire (XVIIIe, XIXe, XXe arrondissements) comptant moins de 10 spécialistes/10.000 habitants, contre une centaine dans le huppé VIIIe, selon l'atelier parisien d'urbanisme. 

Mais la majorité des non lucratifs (gérés par des associations, coopératives, mutuelles...) sont déficitaires, "parce que le modèle économique est intenable", résume Mme Villeneuve. 

La Croix Rouge a annoncé la fermeture d'ici l'été de six centres d'Ile-de-France dont deux parisiens, après des pertes "insoutenables" (4,3 millions d'euros estimés pour 2024, 48 millions en cumulé) selon l'association, qui cherche un repreneur. Après un déficit de 760.000 euros en 2023, le centre Richerand envisage aussi une procédure collective. 

En cause, la "tarification à l'acte": environ 80% du chifre d'afaires provient du remboursement des consultations et actes techniques par l'Assurance maladie, inssufisants pour financer les salaires et charges. 

Ce modèle pousse à enchaîner rapidement les consultations, déplore Hélène Colombani, présidente de la fédération représentative du secteur (FNCS). Mais avec le vieillissement de la population, "les patients cumulent souvent plusieurs maladies chroniques: diabète, inssufisance cardiaque, cancer... C'est ingérable en dix minutes". 

Les patients précaires ont aussi des barrières de langue, divers problèmes sociaux, et cette tarification "ne rémunère pas la prévention (éducation thérapeutique, nutrition, sportsanté...) ou la coordination" avec les services médico-sociaux, pointe-t-elle.

 

Concurrence des structures privées

Des expérimentations ont "montré" que des forfaits annuels, calibrés sur le nombre et les caractéristiques des patients suivis (âge, précarité, maladies...), "seraient plus adaptés", même s'ils "restent à perfectionner", dit-elle. 

D'après une étude commandée par les organisations représentatives, les trois quarts des centres de santé ont un "déséquilibre d'exploitation", les polymédicaux étant particulièrement fragiles.  Les non-lucratifs subissent la concurrence des structures privées, qui se multiplient. 

A Paris, le nombre de centres a triplé en dix ans. Une partie, portés notamment par des fonds d'investissement, "optimisent, font défiler les patients, les actes rémunérateurs (radiologie, dentaire...) parfois inutiles", dénonce Anne Claire Boux, adjointe écologiste chargée de la Santé à la mairie de Paris. "Ils créent du capital avec de l'argent public, mais n'auront aucun scrupule, s'ils ne font plus de marge, à partir ailleurs", tance-t-elle.  La mairie entend soutenir le centre Richerand et n'exclut pas de municipaliser ceux de La Croix Rouge. 

Elle gère déjà une dizaine de centres, également déficitaires, et projette d'en ouvrir sept nouveaux, un "investissement" inaccessible pour de petites collectivités.


AFP
Partager